Alors qu’approche la fête de la saint Martin, le 11 novembre prochain, nous relayons ici un article récent d’Edmond Herold, naturaliste et conteur alsacien.
Entre dévotion et tradition : Saint Martin, Évêque de Tours et apôtre des Gaules
Dans les limbes de notre nébuleuse mémoire, subsiste le geste auguste du partage de son manteau, de même que la providentielle protection accordée à l’enfant abandonné, de haillons vêtu, au détour d’un chemin trouvé… peut-être aussi quelques histoires ou légendes, telle celle relative à son Âne qui aura valu à ses congénères de porter son nom, celle encore de ses déboires d’avec la gente ansérine à l’origine de la tradition qui, le jour de sa fête, conduit l’Oie à la marmite…
Nom au renom sans nul autre pareil, qu’adoptera, sans rechigner, l’Ours farouche, roi des bêtes libres au cœur des sylves profondes de la Gaule chevelue…
Sans oublier, ces ultimes beaux jours dont nous gratifie l’arrière-saison avant l’irruption des frimas.
Son nom est porté par plus de 500 bourgs ou villages de France.
Plus de 3700 paroisses lui sont consacrées.
Il est le patronyme le plus répandu en notre pays.
230 000 personnes en sont porteuses.
Il est mentionné 12 627 642 fois sur Geneanet, site Internet de généalogie, à banque de données participative.
Mais qui donc est cet homme qui a autant inspiré nos ancêtres ? qui, de tant d’expressions, de tant de dictons, a doté et enrichi notre langue ? qui a prêté son nom à tant de toponymes ? dont le nom a aussi abondamment été choisi comme patronyme ? qui, de son aura au divin rayonnement, aura autant imprimé notre culture et notre vision du monde ?
Sur les pas de Martin : De Pannonie en Touraine, La vie de saint Martin (Vita sancti Martini)
Selon les faits rapportés par son disciple et biographe Sulpice Sévère
Martin est né en l’an de grâce 316, dans la lointaine Pannonie, contrée d’Europe centrale correspondant à l’actuelle Hongrie, alors province du puissant Empire romain, dans les troupes duquel son père était tribun. En le nommant Martius – entendez par là voué à Mars, dieu latin de la guerre – ce dernier le prédestina à l’art de la guerre.
Jeune soldat, âgé alors d’à peine quinze ans, Martin se distingua en partageant sa chlamyde, son manteau de légionnaire, avec un miséreux grelottant de froid et quémandant pitance.
La nuit venue, le Christ lui apparut en rêve, son rouge manteau partagé par-dessus l’épaule jeté… Martin l’entendit raconter à son père : « J’avais froid… Martin m’a trouvé… Martin m’a réchauffé… Martin m’a sauvé ! »
Sans tarder, il quitta l’armée et se fit baptiser. Courageuse décision en un temps où les premiers chrétiens, par les Romains et les païens, étaient trucidés sans vergogne.
S’ensuivit une laborieuse traversée du désert, longue errance en nomade ermite, le menant à Poitiers où saint Hilaire l’attendait. Ensemble, ils fondèrent à Ligugé (Vienne) le premier monastère des Gaules. Martin en fut l’abbé (de abba, le père en araméen, langue parlée en Judée, au temps de Jésus) jusqu’au jour où les chrétiens de Tours vinrent le chercher afin d’en faire leur évêque.
Contrairement à ses pairs, tous opulents et fastueux prélats, Martin était un homme de grande humilité qui fuyait les frivoles mondanités. Aussi alla-t-il se cacher, quand arriva la procession des fidèles tourangeaux en quête de guide. Et où se réfugia-t-il ? Au cœur d’un troupeau d’oies pacageant ! Ce qui bien évidemment déclencha leur cacardante ire. Signal qui, bien mieux que fumerolle blanche, désigna sans équivoque le futur primat du diocèse de Tours.
Fâcheuse affaire pour nos innocents palmipèdes, qui, au nom de la tradition, depuis lors, passent à la casserole… Aubaine par contre pour les fins gourmets qui, en dépit de quelques scrupules vite avalés, à la mi-novembre sonnée, se délectent de la succulente Oie de la Saint-Martin, l’incontournable Martinsgans des tables festives de nos cousins germains.
Martin exerça son ministère de longues années durant, parcourant inlassablement les campagnes de Touraine, d’Anjou, de Beauce, du Berry et des contrées alentour, prêchant la bonne parole aux paysans (pagani) des villages (pagi), prodiguant moult guérisons et bienfaits sur son passage, édifiant églises et monastères dont celui de Marmoutier (Indre-et-Loire) où, entre deux missions, il aimait se ressourcer.
Après une vie laborieuse et féconde, il rendit son âme à Dieu en toute sérénité. Ce fut à Candes-Saint-Martin (Indre-et-Loire), un jour de novembre de l’an 397. Ses fidèles compagnons rapatrièrent le corps du saint homme en sa basilique de Tours. On nous rapporte que sur son passage, arbres et arbustes se remirent à fleurir, à fleurir de leur plus bel éclat.
Depuis lors, en souvenir de ce signe divin, celles et ceux qui avec le Ciel et la Terre ont su garder le lien, guettent le temps béni de ces trois jours et un brin qu’est le bel Été de la Saint-Martin.
Saint Brice († 444)
À saint Martin, succède saint Brice. Dans les faits et dans le calendrier.
Saint Martin est fêté le 11 novembre, jour de l’Armistice… quand après les guerres, enfin se taisent les armes… Saint Brice, le 13 novembre.
En nos terroirs et finages, les deux saints sont étroitement liés. Notamment en notre beau Sundgau où les sanctuaires de l’un et de l’autre sont parfois jumelés. Ainsi, sur un même ban communal, une église paroissiale consacrée à saint Martin peut-elle avoir, hors village, en guise d’annexe, une chapelle dédiée à saint Brice.
Cas de figure se présentant à Hausgauen / Hundsbach, Illfurth (chapelle du Britzgyberg) et Oltingue. Ce qui ne relève nullement du hasard et mérite quelque explication.
Lors de ses pérégrinations, saint Martin recueillit un enfant abandonné, en l’occurrence Brice. Il confia ce dernier au monastère de Marmoutier, en Touraine, où il fut élevé dans la foi et l’amour de Dieu.
Qu’à cela ne tienne, un jour, un impérieux besoin d’émancipation s’empara du jeune homme qui se détourna de sa voie initiale et s’égara en d’incertains cheminements. Beaux chevaux en ses écuries et jolies esclaves en sa luxueuse demeure éclipsèrent un temps cantiques et Saintes Écritures. Après moult turbulences et déconvenues, la Lumière revint en lui. Mais la vindicte tenace des fidèles, ses détracteurs, le poursuivit, si bien qu’il prit son bâton de pèlerin et se mit en route pour Rome, où après sept années d’épreuve, il fut absout.
Sa rédemption le remit en odeur de sainteté auprès de ses ouailles, qui l’ovationnèrent, quand à son retour il prit le relais de Martin, son bienheureux et providentiel protecteur.
Pour la petite histoire, ce fut saint Perpète († vers 491), un de ses successeurs à lui, qui, en reconnaissance de sa grande piété, le réintégra comme il le mérite dans la Communauté des Saints et lui permit de retrouver sa place en nos vénérables sanctuaires.
***
De même que notre être subtil poursuit son existence à l’arrêt des fonctions vitales de notre enveloppe charnelle, de même l’aura d’un thaumaturge, entendez par là celui qui réalise des miracles, continue de rayonner après sa disparition physique.
Ainsi en est-il de Martin qui, dans le mystère de sphères à nous inaccessibles, de son manteau dorénavant invisible, nous protège et, pour nous, intercède.
Et ne voilà-t-il pas que – miraculeusement, serais-je tenté de dire – il nous envoie trois jeunes et enthousiastes émissaires, de la Communauté Saint-Martin de surcroît, porteurs de Lumière et d’Espoir, insufflant l’Esprit et ravivant la Flamme.
Via leur jardin de paroisse créé de toute pièce, largement partagé, au terreau fertile patiemment élaboré, de bon grain fraternellement ensemencé… via aussi les conviviales balades dominicales du curé, riches de découvertes et d’émerveillements, de joies et d’émotions, ouvertes à toutes et tous, y compris à celles et ceux non encore touchés par la Grâce… À n’en pas douter, ici, la sauvegarde de la maison commune n’est pas vaine parole.
Puissent les graines semées lever, se multiplier, se propager tous azimuts, afin de réenchanter notre monde en peine et rendre féconds nos terroirs anéantis, tout comme le cœur meurtri de celles et ceux qui les habitent !
Laudato Si ! Loué sois-tu !
(Du Cantique des Créatures de François d’Assise)
Merci Martin ! Merci François !
Edmond
Dictons pour le jour de la Saint-Martin (11 novembre)
Saint-Martin, Saint-Tourmentin.
À la Saint-Martin, les vaches au lien.
Pour Saint-Martin, mène la chèvre au bouquin.
Été de la Saint-Martin dure trois jours et un brin.
Bel été de la Saint-Martin présage un hiver certain.
À la Saint-Martin, tout le moût passe pour bon vin.
À la Saint-Martin, bouche ton tonneau, tâte ton vin.
À la Saint-Martin, bois le vin et laisse l’eau au moulin.
Pour Saint-Martin,
Mets l’oie au pot
Tire ton vin
Invite ton voisin.
À la Saint-Martin, bonde ta barrique ;
Vigneron, fume ta pipe,
Mets l’oie au toupin
Et convie ton voisin.
À la Saint-Martin,
Âne qui ne boit de vin,
Âne deux fois qui trop en boit.
À la Saint-Martin, les soirs ressemblent aux matins.
Pour la Saint-Martin,
La neige est en chemin ;
Pour Sainte-Catherine (25 novembre),
Elle est à la courtine.
Si l’hiver va son chemin, il commence à la Saint-Martin.
À la Saint-Martin,
L’hiver est en chemin,
Manchons aux bras et gants aux mains.
À la Saint-Martin,
L’hiver est en chemin ;
À la Saint-André (30 novembre),
Il est acheminé.
Si l’hiver va droit son chemin,
Vous l’aurez à la Saint-Martin ;
Et s’il trouve quelque encombrée,
Vous l’aurez à la Saint-André (30 novembre).
Sanctuaires dédiés à saint Martin
Liste non exhaustive…
● Dans le Bas-Rhin (67)
Barr (église protestante) – Berstheim – Dachstein – Ebersheim – Erstein – Eschbach – Fessenheim-le-Bas – Goersdorf – Gresswiller – Hilsenheim (chapelle) – Innenheim – Kintzheim – Kirrwiller – Marmoutier (abbatiale) – Niederbronn-les-Bains – Nordhouse – Rangen – Rottelsheim – Saint-Martin, dans le Val de Villé – Sand – Schaffhouse-près-Seltz – Seebach / Oberseebach – Strasbourg (ancien temple protestant) – Sundhouse – Surbourg (collégiale) – Westhoffen – Wilwisheim – Zellwiller – …
● Dans le Haut-Rhin (68)
Ammerschwihr – Ballersdorf (chapelle) – Bartenheim-la-Chaussée (chapelle) – Beblenheim – Buschwiller – Colmar (collégiale) – Ensisheim (église et chapelle) – Grentzingen / Illtal – Habsheim – Hausgauen / Hundsbach – Holtzwihr – Illfurth – Jebsheim – Masevaux – Mulhouse (temple luthérien) – Oberlarg – Oltingue (Saint-Martin-des-Champs) – Petit-Landau – Pfaffenheim – Sierentz – Sondersdorf (église et chapelle Notre-Dame de Hippoltskirch) – Spechbach-le-Haut – Walheim – Wentzwiller – Wihr-au-Val – …
Sanctuaires associés
Saint-Martin & Saint-Brice
Hausgauen / Hundsbach (68) – Illfurth (68) – Oltingue (68) – …
Quelques Martin célèbres
Martin Bouchard (caricaturiste) – Martin Bouygues (homme d’affaires, dirigeant d’entreprise) Martin Bucer (théologien réformateur) – Martin Fourcade (sportif, biathlète) – Martin Gray (écrivain) – Martin Heidegger (philosophe) – Martin Hirsch (homme politique, ex-président d’Emmaüs France) – Martin Luther (théologien réformateur, instigateur du protestantisme) – Martin Luther King (pasteur baptiste, militant non-violent, prix Nobel de la paix) – Martin Nadaud (homme politique) – Martin Niemöller (théologien, pasteur luthérien, militant pacifiste) – Martin Schongauer (peintre et graveur) – Martin Scorsese (cinéaste, acteur et réalisateur) – Martin Veyron (dessinateur de presse et auteur de bandes dessinées) – …
Bibliographie / Hagiographie
Paul Guérin, Vie des Saints, Tome I : Saints du 1er janvier au 30 juin, Tome II : Saints du 1er juillet au 31 décembre, Société Générale de Librairie Catholique, Victor Palmé, Parution 1887 / 831 pages
Henri Pourrat, Saints de France
Dominique Martin Morin Éditeur / Éditions DMM © 1999 / 224 pages
Omer Englebert, La fleur des saints, 2000 prénoms et leur histoire, Albin Michel © 2015 / 469 pages,
Bernard Baudouin, Encyclopédie des Saints, Tous les saints de l’Église de Rome, leurs œuvres & leurs bienfaits, Éditions Trajectoire © 2016 / 332 pages
Reconnaître les saints par leurs attributs, Guide d’identification des saints de nos églises, Statues – bas-reliefs – médaillons – chapiteaux, Éditions Saint-Jude © 2010 / 32 pages
Rémi Fontaine (auteur) – Dom Gérard (préface) – Chard (illustrateur), Le manteau de saint Martin ou l’Étendard de la Charité, Collection < Chemins et Aventures >, Elor Jeunesse © 2001 / 64 pages
Sulpice Sévère, Vie de Saint Martin, Collection < Trésors du Christianisme > Éditions du Cerf © 2003 / 92 pages
Sulpice Sévère, Vie de Martin de Tours, Collection < La Manne des Pères >, Saint-Léger Éditions © 2015 / 125 pages
Grégoire de Tours, Le Livre des miracles de saint Martin, Collection < L’encyclopédie médiévale >, Éditions Paléo, © 2021 / 208 pages
Pierre-Yves Fux, Les pas de saint Martin, Un chemin d’émerveillement et de partage, Saint-Léger Éditions, © 2018 / 223 pages
Et pour suivre Martin…
Màrton, Le partage en chemin : sur les pas de Saint-Martin de Tours, France – Italie – Slovénie – Hong rie, Collection < À temps et contretemps >, Saint-Léger Éditions, © 2012 / 270 pages
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